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Journée internationale de la femme : Interview à SEWA

08 mars 2024

En 2024, nous luttons toujours pour combler le fossé entre les hommes et les femmes, réduire les inégalités et garantir l’accès des femmes aux régimes de protection sociale de base (pensions, assurances, revenus équitables). Le 8 mars nous rappelle avec force l’extraordinaire résilience et le pouvoir des femmes, en particulier lorsqu’elles se regroupent en collectifs tels que les coopératives. En réfléchissant aux progrès accomplis, nous reconnaissons également les défis qui persistent, ce qui nous incite à lutter ensemble pour l’égalité des sexes et l’autonomisation.

À l’occasion de la Journée internationale de la femme, nous nous entretenons avec Mirai Chatterjee, dirigeante de la Self-Employed Women’s Association, SEWA (Inde), présidente de la SEWA Cooperative Federation et membre du conseil d’administration de CICOPA, sur la manière dont les coopératives de travail associé renforcent l’autonomie des femmes dans la société. SEWA est un mouvement indien de syndicats et de coopératives fondé sur des valeurs et axé sur les femmes, moteur du changement. SEWA a été créée en 1972 en tant que syndicat promouvant les droits des femmes travaillant dans l’économie informelle, et a ensuite lancé plusieurs coopératives pour créer des emplois équitables et un travail décent pour les femmes.

Rejoignez-nous dans cette exploration des histoires, des réalisations et des défis des femmes de SEWA, qui ouvre la voie à un avenir plus inclusif et plus équitable. Bonne journée internationale de la femme !

CICOPA (C) : Mirai, aujourd’hui, en tant que dirigeante de SEWA, vous portez un héritage important, celui des femmes activistes qui ont fondé l’association, nous nous souvenons particulièrement de l’activiste et avocate Ela Ramesh Bhatt qui est décédée en 2022. Pouvez-vous nous dire quels sont les principaux défis auxquels les femmes travaillant à leur compte doivent faire face dans la société d’aujourd’hui ?

Mirai Chatterjee (MC) : Dans la société indienne d’aujourd’hui, la majorité des femmes sont des travailleurs indépendants (agriculteurs, artisans, vendeurs de rue, petits producteurs) et elles sont confrontées à de nombreux défis. La discrimination fondée sur le genre persiste dans notre société patriarcale, en particulier à l’égard des castes et des communautés les plus défavorisées de l’Inde. Les principaux défis sont le manque de travail et de sécurité des revenus, qui est lié à l’insécurité alimentaire. Parallèlement, la protection sociale limitée des travailleuses du secteur informel et les difficultés d’accès aux services financiers constituent des défis majeurs. Les femmes ont besoin de nouvelles compétences pour augmenter leurs revenus et participer à la nouvelle économie, notamment pour combler le fossé numérique entre les hommes et les femmes. En outre, le rôle que jouent les femmes dans la prise en charge de leur famille, leur voix, leur visibilité et leur représentation aux postes de direction restent des préoccupations majeures. Il y a encore très peu de femmes au Parlement indien et à d’autres postes de direction, même dans les comités politiques travaillant sur des questions qui concernent les femmes.

Malgré tous ces défis, il existe un puissant mouvement de femmes dans le pays, y compris des millions de groupes d’entraide de femmes (SHG).

C : Que signifie pour vous l’autonomisation des femmes et quels sont les outils que les coopératives peuvent/doivent fournir pour la faciliter ?

MC : Une collègue de SEWA a décrit ce que l’autonomisation signifiait pour elle : un millier d’ampoules qui s’allumaient dans son corps. Grâce à l’autonomisation économique (gagner de l’argent), les femmes deviennent autonomes, ce qui leur permet d’obtenir un revenu, une sécurité alimentaire et une indépendance financière. Dans les entreprises coopératives, que je considère comme un laboratoire de démocratie et d’inclusion, les femmes prennent le contrôle de leur vie et même de leur corps grâce à des processus décisionnels démocratiques. Elles ont davantage voix au chapitre et sont mieux représentées dans tous les aspects de leur vie sociale et de l’économie – au sein de leur famille, de leur communauté et dans les sphères nationale et internationale.

L’autonomisation signifie également être libérée de la peur (des maris, de la police, des fonctionnaires et des élus), y compris la peur de s’exprimer en toute confiance.  L’autonomisation est également un parcours collectif, qui met l’accent sur le pouvoir de la solidarité et l’apprentissage à partir de modèles au sein de la coopérative. Les outils de SEWA pour l’autonomisation comprennent une formation spécifique au leadership et des cours de renforcement des capacités, gérés par la SEWA Academy – notre institution de renforcement des capacités. Ces cours préparent les femmes leaders de la base à contribuer au changement social et à se valoriser au sein du mouvement SEWA, de la société et de l’économie.

C : De quelle manière la SEWA autonomise-t-elle les femmes et quel impact avez-vous observé sur la vie de ses membres?

MC : SEWA autonomise les femmes grâce au pouvoir de l’organisation, en construisant une solidarité par le biais de syndicats et de coopératives, et en encourageant un réseau de soutien. L’organisation se concentre sur la création d’une base populaire solide, qui permet aux femmes de sortir de la pauvreté en utilisant leurs talents et leur résilience. L’impact sur la vie des membres est profond, car elles construisent collectivement leur propre chemin, s’autonomisent et s’élèvent elles-mêmes, ainsi que leurs familles et leurs communautés.

Je vous invite à regarder cette vidéo récente que nous avons réalisée et qui contient des témoignages puissants de notre réseau.

C : SEWA est un exemple fascinant et puissant, quels sont les principaux enseignements tirés qui pourraient servir à d’autres coopératives ou organisations dans le monde pour soutenir l’émancipation des femmes ?

MC : Les principaux enseignements que l’on peut tirer de SEWA sont l’importance de l’organisation des travailleurs informels, leur rassemblement pour créer des organisations basées sur l’adhésion, et la combinaison des syndicats et des coopératives pour construire la solidarité des travailleurs en vue d’un monde plus juste et plus pacifique. Le syndicat mobilise des milliers et des milliers de travailleurs pour lutter pour leurs droits, leur voix et leur visibilité, en les aidant à accéder à l’autonomie économique. Les coopératives offrent aux travailleurs des moyens de subsistance, un travail, un revenu, une sécurité et une protection sociale. Les coopératives sont détenues, gérées et utilisées par les femmes elles-mêmes et sont organisées de manière démocratique et inclusive.

Deuxièmement, SEWA est une organisation fondée sur des valeurs partagé, c’est à dire les valeurs du Mahatma Gandhi, telles que la vérité et la non-violence, mais aussi le respect de toutes les religions, la promotion de l’emploi local décentralisé et ce que Gandhi appelait “Swaraj” – l’autogestion. Le Swaraj, c’est d’une part travailler sur soi, prendre soin de son ego et de ses préjugés, mais c’est aussi l’autosuffisance. Comme je l’ai dit précédemment, le travail, la sécurité du revenu et la protection sociale constituent les fondements de la vie et sont essentiels pour parvenir à l’autosuffisance, à l’autonomie financière, à la prise de décision, au contrôle de sa vie et à la visibilité. Nous vivons dans l’un des pays les plus diversifiés au monde. Toutes les grandes religions sont présentes, il y a tant de groupes linguistiques et d’ethnies. SEWA représente aujourd’hui 2,9 millions de travailleurs, 150 coopératives et collectifs. Ce sont ces valeurs communes qui nous ont permis de rester unis durant ces dernières 52 années.

Une autre leçon clé est de placer les besoins et les demandes des femmes au centre de toutes les actions de l’organisation et de la direction. Il est bien connu que lorsque les femmes dirigent, c’est toute la famille qui se développe. Cela a été démontré dans de nombreux pays, et l’Inde ne fait pas exception à la règle. Il est important de donner aux femmes le leadership, la voix et la représentation pour conduire le changement social.

Un autre élément important est d’essayer de garantir votre indépendance financière en ayant votre propre organisation basée sur l’adhésion et financièrement viable. Par exemple, la SEWA Bank, la première banque coopérative de femmes au monde, a démarré avec 4 000 femmes qui mettaient en commun leurs revenus quotidiens, et aujourd’hui plus de 600 000 femmes sont déposantes. Elle est devenue un modèle dont s’inspirent également les banques et les coopératives plus petites.

Mon conseil est de commencer petit, mais de rêver grand. On ne sait jamais ce qui va se passer ! Comme nous l’a enseigné notre fondatrice, Elaben, si vos valeurs, votre cœur et votre tête sont au bon endroit et que les travailleurs sont au centre, vous ne pouvez jamais vous tromper.

Enfin, la solidarité horizontale et l’utilisation de la technologie jouent un rôle essentiel pour nous, tout comme la reconnaissance du fait que le mouvement coopératif doit s’attaquer à des siècles de pauvreté et de discrimination fondée sur le sexe et la caste en Inde.

C : Selon vous, que pourrait faire une organisation comme CICOPA pour mieux promouvoir l’autonomisation des travailleuses ?

MC : CICOPA peut jouer un rôle important dans la promotion des coopératives de femmes et souligner le rôle qu’elles jouent non seulement pour l’autonomisation économique des femmes, mais aussi pour stimuler les économies locales en produisant un développement ascendant. CICOPA pourrait également fournir un soutien au renforcement des capacités, garantir l’accès aux fonds de roulement pour les petites coopératives de femmes, combler l’ecart numérique et accroître la représentation et la voix au sein du mouvement coopératif mondial.

C : Prévoyez-vous des activités pour la Journée internationale de la femme ?

MC : Pour la Journée internationale de la femme, nous prévoyons de nous réunir, de chanter des chansons valorisantes, de danser notre danse folklorique traditionnelle appelée “garba” et de célébrer la sororité. Nous lancerons également un nouveau programme d’assurance dans une région reculée du nord-est de l’Inde, ainsi qu’un produit sur le changement climatique, qui offrira aux travailleuses une compensation modeste mais utile en cas de chaleur extrême (300 roupies par jour, soit l’équivalent de 3 euros) lorsqu’il devient impossible de travailler, en particulier pour les agriculteurs, les ouvriers du bâtiment, les vendeurs de rue, les travailleurs à domicile et les recycleurs de déchets. Pour le 8 mars, notre objectif est de célébrer notre parcours jusqu’à présent et les réalisations de la sororité.

Merci beaucoup, Mirai !