Les coopératives de soins de santé au Japon
31 mai 2016
Balu Lyer, directeur de l’Alliance Coopérative Internationale (ACI) pour l’Asie-Pacifique, a visité les coopératives de soins de santé et de services sociaux, membres de l’ACI au Japon. Voici son rapport. « Les coopératives en tant qu’organisations basées sur leurs membres ont placé la santé et le bien-être de ceux-ci bien avant le profit. Elles jouent un rôle essentiel dans les soins à la personne, la prévention des maladies et le bien-être social de leurs membres et/ou des personnes dont ceux-ci ont la charge ».
Meiji Shrine, édifié en hommage à l’empereur Meiji et à l’impératrice Shoken, situé dans un parc de 700 000 m2 planté de plus de 100 000 arbres, est un endroit serein, austère et calme au beau milieu de l’agitation de la ville de Tokyo. À l’entrée principale, on peut déposer quelques yens dans une boîte à offrandes (selon le rituel : s’incliner deux fois, battre des mains deux fois et s’incliner une fois encore), acheter des porte-bonheur et des amulettes et écrire un vœu sur un ame. Les ames sont des petites plaques de bois gravées d’images d’animaux ou de dessins tirés de l’imagerie Shinto et sur lesquelles un vœu est souvent écrit. Plutôt dans la matinée j’avais vu un mur de vœux semblable au centre de santé pour personnes âgées de l’hôpital coopératif de Saitama. Des résidents septuagénaires, octogénaires et nonagénaires avaient écrit sur un papier, entre d’autres, « Je souhaite vivre 100 ans », « Je veux manger ma nourriture préférée », « Je veux être proche de ma famille ».
J’étais à Saitama pour me faire une idée de la manière dont une coopérative gérait la question des soins de santé au Japon, une société hyper-vieillissante. En 2013, selon les statistiques officielles, la population du Japon a diminué de 244 000 personnes : un chiffre record. La population du Japon a commencé à diminuer en 2004 et elle vieillit aujourd’hui plus rapidement que partout ailleurs dans le monde. Un rapport rédigé en 2012 par le gouvernement prévoit que d’ici 2060 la population japonaise passera de 127 millions d’individus à 87 millions environ dont près de 40 % seront âgés de 65 ans ou plus. Une fille née aujourd’hui au Japon peut espérer vivre jusque 86 ans, un garçon jusque 79 ans. Au Japon il n’est pas rare de voir des personnes de 70 ans conduire des taxis, travailler comme gardiens de chantiers et comme guichetiers dans les supermarchés.
Historiquement, s’occuper des personnes âgées était du ressort de la famille. Toutefois, avec le vieillissement de la population, les changements dans la structure familiale et les nouvelles pressions économiques on a constaté que les défauts de soins et les abus envers les personnes plus âgées étaient en augmentation et que s’occuper d’elles limitait les perspectives d’emploi pour un nombre de plus en plus important de femmes. Les personnes âgées étaient plus fréquemment admises à l’hôpital et pour de longues périodes – et pas pour une quelconque raison médicale mais simplement parce qu’on ne pourrait s’occuper d’elles nulle part ailleurs. En 2000, le gouvernement japonais a instauré un système d’assurance de soins de santé de longue durée (LTIC) offrant des services sociaux aux personnes âgées de 65 ans et plus sur la base de leurs seuls besoins. Quand ils atteignent 40 ans les gens commencent à contribuer au LTIC, financé en partie par des cotisations d’assurance et en partie par l’impôt. À 65 ans, les personnes deviennent éligibles à l’aide sociale et de santé étendue, allant de l’aide à domicile avec la préparation des repas et l’aide à l’habillement aux soins résidentiels temporaires ou permanents. Les besoins des personnes sont évalués et un niveau de soins leur est attribué qui détermine leur droit.
À l’hôpital coopératif de Saitama, j’ai pensé que l’on me ferait visiter les installations et que leur bel équipement moderne me serait montré. Au lieu de cela, je fus d’abord accueilli par deux femmes, membres du conseil, Mme Michiko Nakajima et Mme Etsuko Isozaki, pour une présentation sur l’amélioration de la santé des personnes, la prévention et la participation civile. « Nos activités Kenko Hiroba incluent des exercices physiques dans les installations publiques et dans les parcs comme la marche, la danse, la pratique du yoga et d’autres activités de remise en forme. Elles sont organisées pour amener les gens à sortir de chez eux et à participer. Nous pensons qu‘il vaut mieux prévenir que guérir ». L’exclusion sociale est un autre mal dont souffrent les personnes âgées. « Pour que nos membres se sentent socialement inclus nous organisons des activités « Anshin Room » qui comprennent des goûters au domicile des membres, dans des établissements publics ou coopératifs. À cette occasion, les membres participent à des ateliers de cuisine familiale, de travail manuel, de chant, de jeux, etc. ». La coopérative a instauré un système où les membres sont formés pour mesurer et enregistrer leurs paramètres de santé (tension artérielle, poids, pas parcourus, etc.). « Ce système est doublement utile, il aide la personne à se surveiller et il fournit des données au médecin au fil du temps ». En coordination avec l’administration locale et d’autres organismes sociaux, Saitama allie la promotion sanitaire au développement de la communauté locale.
La coopérative médicale de Saitama se trouve dans la préfecture de Saitama, au nord de Tokyo. Avec une population de 2,88 millions de personnes, cette région se caractérise par le plus rapide taux de vieillissement de la population du pays. C’est aussi celle qui présente la plus faible densité de médecins.
Fin mars 2014, Saitama comptait 242 098 membres et 2209 employés. Le capital social total était de 61 millions de $ pour un chiffre d’affaires qui avoisinait les 189 millions de $. L’hôpital coopératif de Saitama a été créé en 1978 dans la ville de Kawaguchi. En raison de la très grande qualité de ses services médicaux, il bénéficie d’un classement élevé : le deuxième des 20 hôpitaux d’urgence de la ville de Kawaguchi et le premier du secteur privé.
Pendant la visite j’ai remarqué une table où trois personnes assises parlaient à d’autres personnes qui s’y étaient arrêtées. On m’a dit que c’étaient des volontaires qui les invitaient à s’inscrire comme membres. Un de ceux-ci était M. Ikazawa, membre de la coopérative médicale depuis 30 ans et volontaire à ce poste depuis 16 ans. Quand je lui ai demandé pourquoi il faisait cela, il m’a répondu « C’est ma passion, c’est ce que je veux faire ! Je me sens bien dans mon âge et je voudrais faire quelque chose utile. L’hôpital coopératif m’a donné la santé, je voudrais le remercier en retour d’une certaine façon ».
Avec la mise en œuvre du LTIC en 2000, une concurrence est apparue entre les prestataires de services sans but lucratif et les autres. Avec comme conséquence que le rôle de l’état n’a cessé de diminuer passant d’un rôle de prestataire de services à celui de bailleur de fonds et de régulateur. Un système de rémunération des services a été mis en place, un barème est utilisé pour garder les prix sous contrôle et pour éviter ainsi que leur accès ne soit limité. Comme l’affirme Natasha Curry, en charge de la politique sanitaire du Nuffield Trust : « L’huile dans la machine est le directeur des soins qui détient le budget et qui regroupe un ensemble de soins ». Alors que le secteur privé à but lucratif se taille une part de lion en mettant l’accent sur le nombre, en tenant les coûts en laisse et en maximisant les profits. Sur ces marchés fortement réglementés, on comprend que les coopératives fournissent un meilleur accès aux soins de santé, et plus important encore, pour un nombre croissant de Japonais exclus de ces services pour cause de chômage ou de faibles revenus.
Dans les zones rurales les coopératives de santé sont affiliées à la Fédération nationale d’aide sociale des coopératives agricoles. Ce sont des organisations de deuxième niveau détenues et gérées par les coopératives de premier niveau où les membres sont les bénéficiaires des services de santé et sociaux fournis par les hôpitaux et les cliniques. Celles qui travaillent dans les zones urbaines sont enregistrées sous le régime légal des coopératives de consommation et sont détenues et gérées par les consommateurs-membres. HeW Co-op Japan est une fédération nationale des coopératives de santé et de bien-être. La fédération comporte 111 coopératives-membres formant la division des soins de santé de l’Union des coopératives de consommateurs du Japon (JCCU). Les membres ont exigé que les coopératives prennent en charge les services de soin de santé parce qu’ils souhaitaient prendre soin des personnes âgées, y compris de leurs propres parents et des parents qui ont besoin de tels services. Les coopératives de travail associé ont été créées par des travailleurs d’âge moyen qui recherchaient la sécurité d’emploi suite à l’abandon par le gouvernement de son programme de lutte contre le chômage et qui ont alors participé à la fourniture de services de soins de santé aux personnes âgées. Le gouvernement a encouragé les coopératives à intervenir sur le terrain de l’aide sociale parce qu’elles avaient déjà organisé une grande partie de la population féminine pour fournir des services de soins dans les zones urbaines et rurales.
Dans l’après-midi, j’ai eu l’occasion de visiter le Centre local de santé de Matsudo, Ajisai (Hortensia), géré par l’Union coopérative des travailleurs japonais (JWCU). Faute de cadre juridique pour les coopératives de travail associé, la JWCU est enregistrée dans le cadre de la loi sur les associations sans but lucratif (NPO). Le Centre y a externalisé les soins de longue durée de la préfecture de Chiba. Le Centre a aussi dirigé un programme de formation professionnelle pour les personnes handicapées. Il les aide à vivre de façon autonome en combinant soins médicaux, vie quotidienne, formation à l’autonomisation et aide au changement d’emploi. Mme Fumie Kobayashi, qui gère le centre a travaillé dans différents centres de soins mais a été déçue par le traitement réservé aux résidents. « Notre centre est unique en ce sens que ce sont les personnes handicapées que nous formons qui sont employées comme aides aux personnes âgées. Ceci responsabilise la personne et lui donne confiance en sa propre prise en charge » nous dit-elle. En me promenant dans le centre, je fus ému de constater l’attention réciproque qui existait entre le travailleur social (une personne handicapée) et le bénéficiaire des soins (une personne âgée) ! Nous nous sommes alors rendus au Centre local d’Urayasu où la JWCU gère trois centres périscolaires externalisés de la ville d’Urayasu. Le contraste était frappant par rapport aux centres que nous avions visités plus tôt. Il était bruyant : des enfants couraient partout poursuivis par des adultes de plus de 70 ans, sérieux et guindés !
Quel est l’avenir à long terme des soins de santé et des coopératives en particulier ? Le professeur Akira Kurimoto et Mme Yurie Kumakura abordent le sujet dans leur dernière publication : « Émergence et évolution des coopératives de soins aux personnes âgées au Japon. » La loi LTCI de 2014 a introduit l’idée des soins de santé communautaires intégrés (ICC) qui donne la priorité de la fourniture des soins aux communautés et qui doit être totalement mise en œuvre en 2025.
L’ICC est défini comme un système qui fournit le logement, les soins médicaux, les soins à long terme, les services de prévention et l’aide de subsistance d’une façon intégrée dans les communautés (approximativement l’aire d’un district d’école secondaire). Il vise à permettre aux personnes de continuer à vivre dans leurs villes natales jusqu’à la fin de leur vie avec un sentiment de sécurité pour le jour où elles auront un très grand besoin de soins de santé à long terme. Dans la perspective pessimiste d’une société vieillissant rapidement et de la concurrence toujours croissante parmi les prestataires de service, ces coopératives luttent pour assurer leur position dans ce quasi-marché. Elles s’acheminent vers la création d’un modèle d’ICC mettant en réseau différents prestataires de services basé sur des idées originales d’établir des communautés où les gens peuvent vivre en sécurité et en dignité. Elles doivent créer un modèle unique en combinant les aspects associatifs et entrepreneuriaux des coopératives.
Ma courte visite aux coopératives de santé et les conversations que j’ai pu y avoir m’ont montré la différence que les coopératives peuvent faire. Les coopératives en tant qu’organisations basées sur leurs membres ont placé la santé et le bien-être de ceux-ci bien avant le profit. Elles jouent un rôle essentiel dans la fourniture des soins aux personnes, dans la prévention des maladies et dans le bien-être des membres et/ou des personnes dont ils ont la charge. Les coopératives sont particulièrement importantes pour les populations vulnérables, les personnes souffrant d’un handicap physique ou mental et les personnes âgées notamment. Elles adoptent un mode d’adhésion ouvert à tous. Même les pays qui connaissent une explosion démographique de jeunes ne sont pas immunisés contre la réalité du vieillissement. Un éditorial récent publié dans l’Indian Express fait état d’une croissance du nombre des personnes âgées en Inde (la population des plus de 60 ans a fait un véritable bond entre 2001 et 2011 en passant de 76,6 millions d’individus à 103,8 millions. Ce nombre égale déjà presque la population actuelle du Japon !) et la décrit comme une industrie naissante qui pourrait se transformer en véritable mine d’or exactement comme l’est déjà l’éducation dans les écoles privées ! Est-ce ce qui nous voulons pour notre population âgée ?
Alors que je quittais le centre Matsuda, une femme pétillante et dynamique qui nous avait servi le thé un peu plus tôt m’a donné un cadeau réalisé par les résidents. Elle avait 76 ans, était en bonne santé, se sentait intégrée et passionnément investie dans son travail, HIP en un mot. N’avons-nous pas tous envie de lui ressembler dans nos vieux jours ? Faire partie d’une coopérative pourrait bien être la solution.
Références:
Economist (2014) The incredible shrinking country. http://www.economist.com/blogs/banyan/2014/03/japans-demography
Going on 60 : Policymakers and politicians can no longer afford to ignore India’s rising elderly population
http://indianexpress.com/article/opinion/editorials/senior-citizen-population-india-policies-2766240/
Statistical Handbook of Japan 2015 by Statistics Bureau, Japan
http://www.stat.go.jp/english/data/handbook/c0117.htm
Japan’s solution to providing care for an ageing population
http://www.theguardian.com/social-care-network/2014/mar/27/japan-solution-providing-care-ageing-population